La greffe prendra-t-elle ?
Publié le samedi 05 juillet 2014 à 03H00 dans 'Les Nouvelles Calédoniennes'.
Engager une
réflexion sur l’intégration de la médecine kanak dans le système de santé, aux
côtés de la médecine conventionnelle. C’est tout l’enjeu du colloque « Droit de la santé, entre médecine
traditionnelle et bioéthique » qui s'achève ce soir [vendredi 4 juillet 2014] à l’université.
Objectif ? Engager une réflexion sur le mariage des médecines traditionnelle et conventionnelle.
Si ces
médecines cohabitent, reste à créer des passerelles pour les rendre
complémentaires. La réflexion s’inscrit dans la stratégie régionale de
l’Organisation mondiale de la santé pour la médecine traditionnelle dans le
Pacifique. Une tendance qui prend de l’ampleur. Pour autant, en Calédonie, la
route est longue.
Complexe. Cette union s’annonce complexe : la réglementation de la médecine traditionnelle implique l’accès aux savoirs ancestraux. Mais « certains traitements comportent des aspects secrets, et sont d’autant plus difficiles à étudier que le secret est une des conditions majeures de leur réussite », relève l’anthropologue Patrice Godin.
La maladie,
dans la société kanak, est perçue comme une « manifestation du déséquilibre
d’un ordre établi », ou « d’une rupture dans le tissu des relations ». Un
modèle du monde qui n’existe pas dans la culture occidentale, individualiste et
qui sépare la médecine des autres composantes de la société. Du côté kanak,
c’est un rouage intimement lié à un ensemble. « C’est l’une des médecines les
plus complexes qui soit. Elle s’appuie sur un modèle cosmo-social qui répond à
une vision universelle du monde. Un système qui ne fonctionne que par les
interactions, les échanges, développe Dominique Salino. Dès lors que quelque
chose obstrue la circulation, la hiérarchie ou le respect, il va arriver ce que
l’on appelle “le malheur”. Chose que nous, Occidentaux, on considère fortuit. »
Chose qui n’est pas non plus enseignée sur les bancs des universités.
Juridique. Mais si aujourd’hui les universitaires s’y intéressent « juridiquement », c’est bien parce que « le pays est de plus en plus compétent et qu’il faut s’intéresser à la création du droit calédonien » justifie Guylène Nicolas, maître de conférences en droit public.
Droit
commun, droit coutumier : scindé en deux blocs, le droit pose problème lors des
soins.
« On ne devrait pas être obligé de choisir, on
devrait pouvoir bénéficier de deux médecines complémentaires », défend le
maître de conférences.
Autre difficulté
: l’absence d’une codification de la santé calédonienne. Un chantier monstrueux
qui dissuade les politiques. « C’est une question qui ne rapporte pas beaucoup
de voix », commente Antoine Leca. Directeur du centre de droit de la santé à
Aix-Marseille, il apporte sa connaissance juridique au pays depuis quelques
années.
Malgré ces
contraintes, une première étape est en passe d’être franchie. Une loi du pays
sur la protection des savoirs traditionnels est dans les cartons. Mais « elle
ne réglera pas les problèmes d’articulation entre la médecine traditionnelle
kanak et la médecine occidentale », prévient Guylène Nicolas.
Qui dit
réglementation, dit contrôle. Une équation qui laisse peu de place aux
inconnues. D’où l’intérêt de se positionner, afin de bénir l’union des deux
médecines.
Questions à… Guylène Nicolas, maître de conférences en droit public
« La
guérison n’est pas que biologique »
Les Nouvelles calédoniennes : La médecine kanak a-t-elle fait
ses preuves ?
Guylène
Nicolas : - Oui. Le problème, comme avec les médecines complémentaires ou
alternatives, c’est qu’il y a toujours une suspicion sur la réalité
scientifique de l’efficacité du procédé. Les procédés utilisés sont certes une
molécule, une plante, mais c’est aussi tout le contexte spirituel qui va avoir
une incidence psychique sur la personne. On sait que la guérison n’est pas que
biologique. Mais avec la médecine traditionnelle kanak, c’est difficile de
faire la part des choses.
Peut-on
envisager d’intégrer la médecine traditionnelle dans le système de santé ?
- Des exemples
à l’étranger montrent que ça marche. En Australie et en Nouvelle-Zélande, il y
a une réglementation de la médecine traditionnelle dans le système de santé.
Ils ont réussi à donner un statut juridique aux tradipraticiens. Il faut
réfléchir à comment le transposer à la Calédonie. C’est un choix de société qui
nécessite qu’on interroge la population et les détenteurs des savoirs.
Comment
faire si ces savoirs sont secrets ?
- C’est la
problématique. La médecine kanak est efficace parce qu’elle est taboue et on ne
connaît pas les détenteurs de ces savoirs, ni comment ils les ont obtenus, ni à
qui ils les transmettront. Or, si on veut mettre en lumière cette médecine et
fermer la porte aux charlatans, il faut la réglementer. Mais qui va contrôler,
si c’est tabou ? C’est à la communauté kanak de se positionner sur cette
problématique. L’idée, c’est de réfléchir à comment la coutume ancestrale
s’articule avec l’évolution de la société, sur le fondement de ce qu’est la vie
et comment on la transmet.
Repères
C’est la plante la plus utilisée en Calédonie dans les
remèdes traditionnels contre « la gratte ». Il n’élimine pas les toxines mais
aide à supporter la crise.
Lorsqu’un enfant à la varicelle, il faut faire
bouillir ses feuilles et le baigner dans cette décoction de couleur rouge. Les
pustules sécheront sans cicatrice. C’est aussi un bon remède pour détendre les
bébés nerveux. L’inhalation de la vapeur qui se dégage des feuilles chauffées
apaise les crises stomacales dues aux contrariétés.
Ses fruits qui ressemblent à des oranges ne sont pas
comestibles. De Touho aux îles Bélep, on raconte qu’au pays des morts, le fruit
de cet arbre permet, au cours d’un jeu, de distinguer l’esprit d’un vivant de
celui d’un défunt. Boire une décoction de son écorce guérirait des maux
contractés lors d’un voyage au pays des morts.
(Source :
province sud)
A noter que
certains usages peuvent se révéler nocifs. Il convient donc d’être prudent.
18
Sur les 37
Etats et Territoires du Pacifique, 18 ont élaboré des documents officiels sur
la médecine traditionnelle, alors qu’ils n’étaient que douze avant 2000. La
Calédonie n’en fait pas encore partie.
Esther Cunéo
[Note: J'ai rajouté 5 photos de plantes prises sur internet . Clique sur une photo si tu veux l'agrandir.]
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