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vendredi 25 mai 2012

Disons... médecine traditionnelle du Vanuatu

Alors que nous préparions un voyage au Vanuatu avec la classe de 3°d'Insertion du collège Boaouva Kaléba de Poum en 2005, plusieurs élèves m'ont dit avoir peur d'aller là-bas à cause des "boucans".

La 3°I à Tanna en 2005.
Par "boucans", ils entendaient poisons mais également mauvais sorts, magies noires ou autres sorcelleries ...
Et bien sûr, il a fallu les rassurer! En Nouvelle Calédonie, le Vanuatu est, en effet, réputé pour ses "boucans". Une publicité dont on se passerait bien!
Bien entendu, le voyage s'est très bien passé!
Regarde  ces photos!



Mais revenons à la médecine traditionnelle du Vanuatu.

I - DEPUIS LA NUIT DES TEMPS.

     Comme dans toute société où la vison du monde - la cosmogonie - englobe le visible et l'invisible, le monde des vivants et celui des défunts et donc le naturel et le surnaturel, les anciens avaient élaboré une médecine qui prenait en compte l'homme dans cette dimension globale.
Soigner un malade, homme ou femme, revenait ainsi à soigner son corps et son esprit simultanément ou alternativement.

     C'était, bien entendu,  à des personnes initiées ou "kleva man" (de l'anglais 'clever man' que je traduirai par 'guérisseurs') comme dans d'autres pays le medicine man  ou encore le chaman que ce rôle était réservé et qui se transmettait de générations en générations. Ces 'kleva man' connaissaient les plantes curatives ainsi que les rites magiques. Ils servaient donc d'intermédiaires entre le monde des vivants et celui des défunts, des esprits de la nature et des dieux.


1- Pour soigner le corps: les végétaux, les minéraux et animaux
Les anciens se servaient de ce qu'ils trouvaient autour d'eux: les plantes en général car la flore était abondante et variée mais aussi les animaux et les minéraux. Et pour certains soins, les interdits alimentaires et autres (tabous) pouvaient compléter le traitement.
Dans chaque famille, il y avait aussi une personne - généralement une femme- qui pouvait soigner car on lui avait appris à utiliser certaines plantes curatives pour les besoins de la famille. Quand le mal était plus important on allait voir le 'kleva man'.

Plante "ari hilhili" en langue de Pentecôte,
 les feuilles sont utilisées pour les bébés
et les enfants.

 Autre plane curative très utilisée: "nunumwi" 
(nord Pentecôte) ou "naulopang" (sud Tanna)










2- Pour soigner l'esprit: la magie pour une médiation entre le monde visible et le monde invisible.

     Le monde environnant étant perçu comme régi par des lois naturelles et surnaturelles édictées par les divinités et les ancêtres, tout devait être fait pour conserver cette harmonie. Et si l'une ou plusieurs de ces lois, communément appelé tabous, étaient transgressées volontairement ou non, le coupable devait demander pardon et réparer sa faute par des dons et sacrifices en vue de  retrouver grâce auprès de ces divinités. Le 'kleva man' intervenait alors comme médiateur avec les divinités. Cependant, si ce rite propitiatoire n'était pas accompli, le coupable et sa famille encouraient une terrible sanction pouvant entrainer la mort.

     Par ailleurs, dans les conflits existant entre différents clans et tribus, ces 'kleva man' pratiquaient également la magie noire en jetant des sorts et autres maléfices en vue de nuire à leurs adversaires ou ennemis en représailles. Les guerres tribales étaient parfois meurtrières et quand un valeureux guerrier était tué, ses adversaires le mangeaient pour s'approprier son énergie, sa force et ses qualités. Tandis que les personnes souffrant des sortilèges des tribus adverses allaient voir le 'kleva man' de leur propre tribu pour être désenvoûtées.

     En effet, si la magie noire fait intervenir des forces occultes maléfiques qui peuvent nuire aux autres, la magie blanche, quant à elle, fait appel aux forces de la nature à des fins positives ou préventives.
     Le 'kleva man' tout comme le chaman pratiquait couramment le "désenvoûtement" sur les personnes mais aussi sur les lieux, il s'agissait alors de la protection des espaces de vie.

   Enfin, le territoire de chacun était bien délimité et personne n'allait au-delà de ces frontières par peur d'enfreindre un tabou et donc de mettre sa vie en danger. Et dans ces espaces cloisonnés, le 'kleva man' agissait pour le bien de sa communauté et les rites de magie noire étaient bien cadrés et sous contrôle.


II -  DE NOS JOURS.


     A l'heure actuelle, la religion chrétienne et la civilisation occidentale ont depuis énormément bouleversé et modifié la vision du monde des anciens ainsi que les traditions. La médecine traditionnelle a longtemps été exercée plus ou moins clandestinement selon les lieux. Nous, les héritiers, nous avons adopté à divers degrés, selon que l'on soit en milieu rural ou urbain, un mode de vie et de pensée plus ou moins occidentalisé tout en gardant certaines pratiques coutumières ancestrales. Beaucoup de ces dernières, cependant, se sont perdues ou ont été abandonné dans notre marche vers le progrès et la modernité.

1- La tradition et la vie moderne.

     La religion chrétienne a aussi imposé le Dieu Unique  et parmi les nombreuses divinités traditionnelles, chaque communauté a retenu le nom d'un dieu correspondant à cet Être Suprême. A Pentecôte, Maewo et Ambae, ce Dieu est Tagaro (orthographié aussi Takaro).

     Mais il n'est pas rare qu'à certaines occasions, certains pratiquent encore le culte des morts, des divinités protectrices ou font des rituels de sacrifices de cochons et autres pour s'attirer les faveurs des esprits protecteurs de la famille et du clan.
     Le saut du Gaul, aussi spectaculaire soit-il, est l'un de ces rites propitiatoires en même temps qu'un rite de fertilité pour la communauté du sud Pentecôte. Il se pratique encore chaque année.

     De plus, à l'indépendance du Vanuatu en 1980, la Constitution a mis en avant la coutume et la tradition. Cela a, bien sûr,  été applaudi par tous car c'était une bonne chose. Or cela a eu aussi pour effet pervers de faire revenir en force les pratiques de la magie noire dans toutes les îles; des pratiques qui, si elles  étaient sous contrôle auparavant, de nos jours elles le sont beaucoup moins.

     Et du fait de l' ouverture de l'espace géographique et de l'absence d'un contrôle plus strict et efficace des autorités coutumières, n'importe qui peut, entre autre, se procurer ces fameux 'boucans' dont les ni-vanuatu et les calédoniens (toutes ethnies confondues) en  parlent, en usent et en abusent malheureusement. Et cela est fort regrettable.


2- Le travail du 'kleva man' d'aujourd'hui.

     Pour faire face à la montée de cette "criminalité occulte ou satanique", les 'kleva man' ont bien du travail et sont souvent débordés car ils sont appelés un peu partout dans les différentes îles, là où les malades ont besoin d'eux.
     Fort heureusement, ils sont aidés par les groupes de prières qui oeuvrent en parallèle. En effet, de plus en plus de ces groupes de différentes églises vont de quartier en quartier et à la demande pour prier sur les malades pour qui la médecine occidentale est inopérante. Et les guérisons qu'ils obtiennent, tout en les fortifiant dans leur foi, les encouragent à poursuivre leur mission.

     En outre, si autrefois le 'kleva man' ne travaillait que chez lui, aujourd'hui les membres de sa tribu sont éparpillés un peu partout dans l'Archipel du Vanuatu et même dans les pays voisins.  Aussi pour pouvoir les soigner, il est amené à voyager. Ce faisant, il rencontre également les amis de ses protégés qui, eux aussi, ont besoin de ses soins puis, par la suite, les amis des amis etc... C'est ce qui se passe à Port-Vila, à Nouméa et ailleurs.

Philip, un 'kleva man' qui vient souvent en NC. Ici à Koumac.
      A ce jour, si la majorité des  'kleva man' reconnus comme tels pratiquent bien la médecine traditionnelle par les plantes et la magie blanche, beaucoup  d'entre eux également usent de la magie noire. J'appellerai ces derniers des 'sorciers' car ce sont eux qui vendent les "boucans", les maléfices et autres poisons souvent très chers.
     C'est devenu un commerce lucratif et cela n'a pas manqué d'attiser la cupidité de charlatans de tout acabit qui se sont attribués le titre de 'guérisseur' et font malheureusement plus de mal que de bien.

Une mise en garde s'impose: dans ce commerce, vous reconnaitrez un bon 'kleva man' par le fait qu'il ne donne aucun prix pour ses soins et prestations. Chacun donne ce qu'il veut, selon ses moyens.
   Tandis que le 'sorcier' ou le charlatan fixe des prix qui varient selon ses prestations et sont souvent élevés. Et s'il augmente encore ses tarifs alors que la guérison que vous attendez n'est pas au rendez-vous, faites marche arrière et allez consulter un vrai 'kleva man'.
Oui, ATTENTION au FEU et aussi à votre porte-feuille!


     Lorsqu'il reçoit un patient, le 'kleva man' va d'abord l'écouter parler de sa maladie pour déterminer la suite à donner. Cette phase d'écoute est importante. Elle permet au patient, d'une part, de décrire son mal, ses souffrances et les problèmes rencontrés sur le plan physique autant que psychique car, on le sait, parler soulage et le 'kleva man' comme un psychiatre est un confident privilégie à qui tout peut être dit.
     D'autre part, le patient doit ensuite clairement dire ce qu'il attend du 'kleva man'. Cela permet aussi à ce dernier de juger la volonté du patient de vouloir guérir ou non.
     En effet, si le malade n'est pas convaincu ou ne croit pas à une possible guérison, le 'kleva man' ne pourra pas le soigner efficacement. Les traitements proposés seront sans effet car son esprit inconscient ou subconscient a été programmé différemment.
     Par contre, s'il y a chez le patient la volonté de guérir et donc d'y participer activement en suivant le traitement à la lettre alors la guérison est déjà en train de s'opérer.

     Le 'kleva man' va ensuite 'voir' la ou les causes de la maladie grâce à ses capacités de voyance. La prise de kava va l'aider dans son 'voyage' durant la nuit. Le lendemain matin, il peut donner la ou les réponses et les soins à apporter selon les cas de figures suivants:
a- la maladie a pour origine un dysfonctionnement d'un organe ou d'une partie du corps;
b- la maladie est causée par un 'boucan', un maléfice ou autre attaque contre son 'esprit' (les anciens désignaient ainsi la partie invisible du corps physique, de nos jours on dira corps subtil (éthérique, astral, mental …);



c- la maladie est causée par des lutins qui sont des créatures humanoïdes de petite taille vivant dans la nature - les anciens en distinguaient deux sortes : les lutins domestiques qui sont bienfaisants et les génies malfaisants(sarivanua en langue du nord Pentecôte) ; et
d- la maladie est due à des entités surnaturelles maléfiques voire démoniaques.

     Après le traitement, la guérison peut survenir très rapidement comme elle peut être plus lente mais elle arrive toujours pour tout malade confiant et positivement motivé.


3- la médecine de demain

Le noni.

Le kava

Les médecins travaillant dans les hôpitaux du Vanuatu reconnaissent la complémentarité de cette médecine traditionnelle. De fait, lorsque la médecine occidentale est peu efficace ou inopérante, ils conseillent aux malades concernés d'aller consulter un 'kleva man' avec qui s'est établie une relation de confiance. Et inversement, lorsque ce dernier se trouve face à certaines maladies, il fait sa part de traitement puis envoie le malade ensuite au dispensaire ou à l'hôpital. Et cela se pratique depuis bien longtemps. J'ajouterai que la pénurie fréquente de médicaments ces dix dernières années a renforcé encore plus cette coopération et mis en avant la complémentarité de ces deux médecines.

CNC- mai 2011
  Par ailleurs depuis plusieurs années, des associations et des particuliers de Nouméa et d'ailleurs font des collectes de médicaments pour les acheminer à Port-Vila, à Tanna ou dans les autres îles du Vanuatu. Ces actions humanitaires sont très louables et rendent grandement service aux populations visées  mais à très court terme. Que se passe-t-il, en effet, lorsque le stock de médicaments est épuisé? Retour à la case de départ et, pour un pays en voie de développement, c'est catastrophique!

      Pourquoi alors ne pas réfléchir ensemble - les associations et ONG humanitaires, les médecins, les chercheurs, les 'kleva man' - avec les populations locales pour inscrire ces actions sur le long terme?
     Je citerai un dicton de mémoire et si la formulation n'est pas exacte, elle traduit quand même bien cette philosophie à avoir dans toute action humanitaire:
"Donne un poisson à un pauvre, il mangera un jour. Donne-lui une ligne et il mangera tous les jours."
Récolte de plantes
     Le premier volet de cette action serait de voir comment développer plus encore les recherches et les travaux des organismes tels  l'IRD , le CIRAD, l'INSERM, l'Institut Pasteur, la CPS et autres qui ne sont pas dépendants des grandes industries pharmaceutiques.

     L'objectif, à moyen terme, serait de dresser une liste de médicaments à base de plantes et de minéraux qui pourraient être utilisés pour traiter les pathologies courantes. Cette liste serait ensuite confiée aux médecins et autres personnels de santé qui devront être formés afin de pouvoir les collecter, les préparer avant de les administrer à leurs malades. Le coût des médicaments serait alors grandement revu à la baisse!
Et surtout les malades pourraient  se faire soigner à tout moment de l'année. C'est le plus important car la flore environnante étant abondante, il n'y aura qu'à se servir!


     Le second volet couvrirait le plus long terme et se concentrerait sur la conservation et la fabrication artisanale voire industrielle de médicaments à partir des recherches effectuées sur la pharmacopée locale.

    

     Je conclurai en disant que si la connaissance des plantes des uns et des autres peut donner à la médecine moderne les moyens et outils nécessaires pour que le personnel médical puisse prendre en charge plus efficacement la santé du plus grand nombre, de Port-Vila jusqu'au village le plus reculé, alors on aura réussi le pari de l'intelligence.
     Les 'kleva man' qui seront partie prenante dans ces actions, à n'en pas douter, partageront ainsi leurs connaissances des plantes qui leur ont été transmises depuis des générations tout en conservant leurs prérogatives en ce qui concerne les plantes magiques et protectrices et les rituels magiques dévolus à leur fonction au sein de leurs communautés respectives.






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